J'ai acheté un joli journal. Il faut le remplir. { Journal de Lula.

O · Over The Waterfall.

Le jour du silence blanc;

Je me souviens du jour où la rivière m'est apparue. J'étais petite fille.

C'est quoi ? Qu'est-ce que c'est, ce grand manteau blanc qui recouvre l'au-dehors ? Je sors, j'ai mis mon bonnet. Oh ! C'est mou, j'en ai jusqu'aux hanches. Et c'est froid, très froid. J'en mets dans ma bouche. Ca n'a pas de goût, et ça gèle les dents. Mais c'est doux et blanc comme du coton.

- C'est de la neige,

dit maman.
De la neige. C'est un joli mot, la neige. Je comprends tout de suite ce qu'est la neige. C'est un anesthésiant pour la terre, c'est un grand voile de feutre qui enveloppe le sol et étouffe tous les bruits, c'est un générateur de silence. C'est un frein à la course du temps.
Non. C'est plus qu'un frein. C'est un effaceur, un transporteur de temps. Ici, le temps n'existe même plus.
...
Et puis le noir. Il fait tout noir. Je ne vois rien. Où est la neige ? Où est passé tout ce blanc ? Je veux revoir la neige. Elle est si belle et bonne à manger. La neige me manque. Ici non plus, dans tout ce noir, il n'y a pas de bruit. Mais c'est un silence différent. Ce n'est pas du silence. Avec la neige arrive un silence qui remplit, qui réchauffe, qui réconforte. Ici, ce n'est pas du silence. Ce n'est qu'une absence de bruit, c'est un néant froid qui oppresse et inquiète.
Mais je vois des lueurs. Quelques lucioles s'agitent sous mes pieds, répandant leur lueur de veilleuse dans le noir. Mais elles sont nombreuses. Bientôt, il y en a tellement que je ne peux plus les compter. Il y en a tant qu'elle forment une rivière, qui avance lentement, au gré de leurs battements d'ailes. Mais... sont-elles vraiment des lucioles ? Je m'accroupis, et plonge mes mains dans cette étrange lumière.
Et je reste stupéfaite. Cette lumière, c'est une vraie rivière. Une rivière de neige. Elle est douce et froide, elle glisse entre mes doigts. Et subitement, le silence apparaît. Le vide se comble et se remplit de bruit silencieux. Le bruit de la neige qui tombe, le bruit de la neige qui coule.

Le jour des yeux flamboyants;

Je me souviens du jour où j'ai rencontré mon Daemon. C'était il y a 3 ans.

Me voilà dans de beaux draps. Bonjour, je suis Lula, 20 ans, 1m52, trop maigre, à peine sortie de Knowledge Cocktail et déjà lâchée sans préavis sur les pavés d’Édimbourg, avec pour seul bagage mon sac blanc rempli de quelques babioles et d'une culotte de rechange. Je suis la Lula désemparée, uniquement vêtue d'une robe blanche et sale, je suis la Lula apeurée par la jungle Écossaise, grise et pavée. Mais je suis la Lula téméraire, la Lula qui avance en quête d'un renouveau. Je suis la Lula qui n'est freinée par aucune valise, aucun bagage émotif, aucun ressentiment, je suis la Lula blanche, la Lula qui ne se reproche rien et qui ne regrette rien, la Lula à l'esprit vierge, la Lula prête à construire rapidement, puisque je suis la Lula qui n'a rien à détruire. Alors je marche, et j'arpente la ville. Je suis la Lula clocharde, et c'est justement ça l'avantage.
Je cherche tout le jour. Je cherche quelque âme charitable qui voudra bien m'offrir logis ou nourriture. Les gens sont-ils trop peu altruistes, ou est-ce moi qui ait le don de non-trouvaille ? Je ne sais pas, mais le fait est que, ce soir, je dormirai sur les pavés. Le soleil est déjà sur le déclin. Je recommence à chercher, mais cette fois, je cherche un coin de rue ou de parc où je pourrai avoir un semblant de sommeil.
Je finis par trouver un petit coin de vert, un simple parc pour gosses. C'est pas les jardins de Princes Street, mais ça fera l'affaire l'histoire d'une nuit ou deux. J'espère avoir trouvé un toit et un petit travail d'ici-là.
Je m'installe. Je pose mon sac, je m’assois dans l'herbe, dos à un platane. J'ai froid. Je n'ai pas de manteau, je devrais me contenter de ma robe comme seule couverture. Je m'allonge sur le flanc, je sens le gazon caresser mes joues. J'ai un peu peur. Alors je ferme les yeux.

Grand éclat. Qu'est-ce que c'est ? C'est blanc. Je suis toujours dans le même parc, roulée en boule sur le côté, il fait nuit noire. Je suis frigorifiée, mais j'ai un peu dormi. Qu'est-ce qui m'a réveillé ? Je me souviens avoir vu une lumière blanche éclatante, si bien que même en rêve, j'ai été éblouie. Je jette un rapide regard alentours. Il fait trop noir, je ne vois rien. C'était juste un rêve. Je referme les yeux.
... Là, je n'ai pas rêvé. La même lumière blanche venait de réapparaître devant mes yeux, comme imprimée sur mes paupières. Je me lève brusquement. La lueur est là, devant mes yeux bien ouverts, elle est réelle. Qu'est-ce que c'est ? Je m'approche. C'est chaud. Alors je tends la main, et tout devient blanc.

- M'acceptes-tu ?

Une voix résonne dans ma tête. Je suis dans un espace immaculé, je suis une tache dans ce vide blanc. En face de moi, une petite bestiole blanche aux yeux rouges. C'est une gerbille.

- M'acceptes-tu ?

C'est elle qui parle. Elle est dans ma tête. Du moins, je crois... qui me dit que ce n'est pas moi qui suis dans la sienne ? Elle m'observe. Elle me jauge de ses yeux écarlates. Et puis je comprends. C'est ma gerbille, c'est mon Daemon. Enfin je le rencontre.

- Je suis Poppy. M'acceptes-tu ?

Je n'hésite pas. Je tends mes mains en coupelle, accueille l'animal au creux de mes paumes. C'est ici que je commence à construire.

- Oui.

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